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Voilà plusieurs semaines que les experts du...

lundi 27 septembre 2021

Voilà plusieurs semaines que les experts du GIEC ont publié, pour l’ONU, leur dernier rapport sur le réchauffement climatique. Est il trop tard pour publier une tribune parue dans le journal Le Monde par Michel Lepesant, philosophe, membre de la Maison commune de la décroissance, auteur de « Politique(s) de la décroissance » (Utopia, 2013)...?
Car la lutte du réchauffement pose le problème d’une décroissance...

" Le verdict du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié le 9 août, est clair : « Les preuves des changements observés dans les phénomènes extrêmes tels que les vagues de chaleur, les fortes précipitations, les sécheresses et les cyclones tropicaux, et, en particulier, leur attribution à l’influence humaine, se sont renforcées depuis le cinquième rapport d’évaluation. » Il rejoint celui du récent rapport conjoint du GIEC et de l’IPBES (la plate-forme des Nations unies pour la biodiversité et les écosystèmes), publié en juin 2021, et dont les premiers mots sont : « Le changement climatique et la perte de biodiversité sont deux des problèmes les plus urgents de l’anthropocène », c’est-à-dire depuis l’avènement des hommes comme principale force de changement sur terre.

" Les rapports du GIEC et de l’IPBES fournissent le cadre. Nous n’éviterons pas un monde à + 1,5 °C (entre 2030 et 2040), explique le GIEC, même si dans son scénario le plus optimiste, la température pourrait être stabilisée avant de décroître à 1,4 °C vers la fin du siècle. La question politique est par conséquent celle d’une solution responsable : cesser de faire de la croissance du produit intérieur brut (PIB) la boussole à l’aune de laquelle toutes les politiques devraient être évaluées. Voir l’article du journal Le Monde à ce sujet :
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Cette boussole est biaisée car elle oriente nos vies sous la domination de la seule activité économique. La mise sous tutelle de toute vie sociale correspond à la victoire d’un concept : l’indicateur du PIB, qui est devenu une idéologie au service du monde de la croissance.

Aujourd’hui, tout gain de croissance est corrélé à une dégradation de l’empreinte écologique (EE). Pire, le seuil de dépassement des plafonds de l’insoutenabilité écologique n’est pas devant nous mais derrière nous : en 2021, le « jour du dépassement » est le 29 juillet. Désormais chaque humain doit se sentir responsable et s’efforcer de repasser sous ce seuil : c’est cela qui s’appelle la « décroissance ». Et appelons un chat un chat : même si toute récession n’est pas qu’une décroissance, la décroissance est bien une espèce de récession.

Croissance et récession sont des notions économiques antagonistes. Une récession correspond au recul de l’activité économique, mesurée par le PIB, pendant au moins deux trimestres consécutifs. Quand une récession est « grave et durable », elle devient une dépression.

La fin du fétichisme

Or la décroissance entraîne forcément un recul de la croissance économique. Quelle devra être la durée de ce recul ? Le temps de revenir à une EE soutenable. En France, l’EE est de 1,8 par rapport à la biocapacité française (et de 2,9 par rapport à la biocapacité mondiale). Avec un taux de décroissance de 10 % par an, il faudra près de 40 trimestres de récession si on part d’une EE de 2,9. Il s’agit d’un calcul grossier, mais il donne un ordre de grandeur pour comprendre que la décroissance sera une récession.
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Pour autant, cette décroissance aura-t-elle pour conséquence une récession grave et durable ? Durable, oui, mais grave ? Économiquement, la décroissance durable du PIB sera importante, mais cela correspondra aussi à un allègement du poids que l’économie fait peser sur la vie sociale. Refuser d’assumer la décroissance comme une récession, cela consiste à rester prisonnier des cadres idéologiques des partisans de la croissance.

Si l’on se place du point de vue de la vie sociale et non de la comptabilité économique, la décroissance – décrue durable de la croissance – ne sera pas grave. Une vie où chacun sera émancipé de la course permanente à l’innovation, où chacun pourra préférer les dimensions du commun, de la coopération, de la convivialité, de la sérénité plutôt que de fétichiser l’individualisme, la concurrence, la rivalité, l’agitation…

La décroissance sera certes une « récession », durable, mais elle ne sera pas une « dépression » si elle réussit à s’émanciper du tout-économique. Et, pour cela, elle devra être démocratique et choisie. Là où la croissance est sans limites, la décroissance n’est pas, elle, une décroissance vers le zéro. La décrue des extractions, des productions, des consommations, des déchets – dans le cadre retrouvé d’une empreinte écologique juste et responsable – n’est pas une fin en soi.
Voir l’article réservé aux abonnés du journal Le Monde : « Plutôt que de rechercher la croissance, il faut se donner un cadre économique et social qui garantisse à tous le nécessaire »

Les finalités sont une décroissance forte des inégalités sociales et la remise sur ses pieds d’une société aujourd’hui inversée. Seraient alors combattues l’invisibilisation et la dévalorisation de la sphère de la reproduction sociale (les activités du soin et de la socialité primaire auxquelles sont aujourd’hui assignées les femmes), et donc le patriarcat…

"En attendant, il est à craindre une campagne présidentielle durant laquelle les partisans du capitalisme comme ceux qui le critiquent faussement – les partisans de la « croissance soutenable » et du « pacte vert » – rivaliseront pour esquiver la solution responsable d’une décroissance démocratiquement organisée et voulue".

Michel Lepesant, philosophe, est membre de la Maison commune de la décroissance, auteur de « Politique(s) de la décroissance » (Utopia, 2013).